Sunday 13 July 2008

Yom Hazikaron - Francais

Ilan,

Je m’assieds ici en face d’une pierre blanche sur laquelle ton nom est gravé. Treize ans ont passé. Les aiguilles de l’horloge tournent, imperturbablement. On dit que le temps n’attend personne. Et pourtant, chaque année, quand je reviens ici, à ce jardin de pierre et de noms où le silence reigne, le temps a l’air s’être arrêtté. Les souvenirs me reviennent, clairs, aigus, vivants.

J’ai rencontré tes parents en ville. Ils ont visiblement vielli, leurs regards morns et tristes; leurs visages ravagés par le temps et le chagrin. Ton père m’a raconte qu’à l’école où nous étudions on a construit une bibliothèque dediée à ta memoire. D’ici, si on fait attention, on peut réperer l’école, au fond de la rue. Tout d’un coup nous vois en uniforme scolaire en classe. J’entends les bruits d’un group d’adolescents riant. Je te vois de nouveau courir pendant le cours de sport. Vite, legerement, toujours en tête. Vers où courrais-tu?

Je regarde autour de moi; des rangs de pierre tombales. Blanches, froides, silencieuses. Dernier témoignage d’une vie vecue. Il y a tant de sérénité dans ce jardin où les arbres fleurissent auprés des morts en une ironique harmonie. A côté de ta tombe repose Daniel Müller qui, comme toi, n’a pas atteint son vingtième anniversaire. A côté de lui repose Roy’i Domb qui n’a même pas fini sa première année de service militaire avant d’être victime d’une embuscade à la frontière libanaise. Et près de lui de nouvelles pierre, de nouveaux noms.

1987 fut une mauvaise année. Il y avait peu de plui. C’était un an après que nous avions été conscrit à l’armée. Deux ans auparavant, le gouvernement avait declaré que l’armée israélienne a quitté le Liban. C’était la fin ‘du marécage libanais’. Pour quoi donc en étions nous trempés après que nous ayons censé être parti de ce pays maudit?

Nos vies sont dominées par la politique. Nos destins placés dans les mains d’hommes politiques avides et sans remords qui saisissent l’occasion de jouer à la guerre en nous utilisant comme leurs soldats de plombe. Des pions sur leur échiquier. Et puis, quand tombe la nuit, quand arrive l’heure de compter les tués, les blessés et les disparus, ils parlent d’Abraham et du sacrifice d’Isaac; des héros de la nation et de l’histoire écrite en lettres de sang. Et puis, pour réconforter les parents déspérées, et afin de soulager leur peine, ils parlent d’un temps où le loup habitera avec l’agneau et où nous forgerons des hoyaux de nos glaives et des serpes de nos lances. Et cependant, la liste des morts, des parents qui pleurent tout au long de la nuit, des jeunes gens qui cherchent leurs camarades d’école dans des cimetières, s’allonge de plus en plus. 1987 fut une triste année; une année de perte; une année qui a marqué la fin de notre innocence.

Je m’assieds ici en face d’une pierre blanche sur laquelle ton nom est gravé, et soudain, les evenements de ce jour d’avril me reviennet de loin. Ce jour printanier qui fut ton dernier jour. Dieu, selon le poète Yehuda Amichaï, se souci des petits enfants de l’école maternelle, et un peu moin des écoliers. Mais en ce jour d’avril, nous n’étions plus des enfants. Ni des écoliers. Nous étions déjà des soldats. Il ne s’est pas souci de nous. Il nous a laissé nous défendre tous seuls. Et en ce jour fatidique d’avril, le coup dont nous avons tous eu peur et dont nous n’avons jamais osé parler, t’a été porté. Le coup contre lequel tu n’as su te défendre. Et maintenant tout ce qu’il reste de tes rêves, de tes espoirs et de tes craintes, est un nom sur une pierre blanche.

Le lendemain nous nous sommes tous rencontrés ici, en ce lieu où l’esprit se sépare du corps; ta famille, tes amis de l’armée et de camarades d’école. Je me rappelle vivement le terrible silence qui a orchestré le cortège funebre qui a suivi ton cercuil couvert d’un drapeau du pays. Je me souviens de la façon dont nous regardions fixement ce lopin de terre où tu es maintenant, cloués d’incrédulité. Refusant d’y croire. Tamy s’est souvenue que quand nous étions petits notre professeur à l’école nous a expliqué que dans la bible ‘Ilan’ signifie ‘arbre’ et que l’arbre symbolise la vie parce qu’il est fort, donne des fruits et vit longtemps. "Pourquoi, donc, n’as-tu pas reçu les qualités d’un arbre?"

Treize ans ont passé depuis. La plupart d’entre nous a quitté l’armée il y a longtemps. Nous poursuivons nos rêves, courrons après notre avenir, battissons nos destins. Seul toi, qui courait toujours en tête, tu ne bouge plus. En m’eloignant de ce triste jardin qui a déjà connu tant de larmes, je pense à toi: Ilan avec les rêves dans les yeux; le garçon avec le sourire incorrigible; le jeune homme qui avait toute la vie devant lui. Je te vois, le beau soldat, sur les pentes du Liban où tu restes seule.

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